Focus sur les églises de la Reconstruction

Lorsqu’on parle de reconstruction, on pense tout de suite à la Seconde guerre mondiale et aux immenses chantiers des Trente Glorieuses. Mais le principe de reconstruction, notamment des églises, est beaucoup plus ancien que cela. Dès le XVe siècle, la reconstruction des églises avait lieu après le grand conflit de la Guerre de Cent ans, au Sud de Paris. Il a donc toujours été important pour les populations de conserver l’édifice religieux de leur village, autour duquel ils se regroupent depuis les débuts du christianisme.

Au XXe siècle, deux grandes périodes de reconstruction ont permis aux églises de trouver un style architectural nouveau, en lien étroit avec les évolutions de la société et de la liturgie. Il s’agit de la reconstruction post Première Guerre Mondiale, concentrée surtout dans l’Est et le Nord de la France, et de la reconstruction post Seconde guerre Mondiale, très importante notamment en Normandie.

Les églises sont des symboles identitaires, inscrits au cœur des villages de la campagne française depuis plusieurs siècles. Elles ont un enjeu symbolique fort qui explique la volonté de les reconstruire le plus rapidement possible. Les architectes qui se penchent sur ce sujet y voient aussi un défi architectural majeur, ils peuvent enfin se hisser à la hauteur des plus grands concepteurs et se faire un nom sur la scène nationale, voire internationale.

La reconstruction en général est un laboratoire des renouvellements de l’art sacré, par le biais de l’architecture. Les différents réseaux d’architectes permettent une large diversité morphologique et stylistique qui se traduit par une nouvelle conception architectonique, un répertoire ornemental renouvelé et de nouvelles formes d’art décoratif. Ce renouvellement témoigne de l’évolution de la liturgie au XXe siècle. En effet, elle se fait plus communautaire, avec une disposition des fidèles en éventail autour de l’autel dont la vision est dégagée. La place du chemin de croix est de plus en plus affirmée et incluse dans le projet architectural.

Bien que friandes d’innovations et d’affirmations modernes, les architectures de reconstruction ont souvent du mal à se départir d’une certaine forme de régionalisme. Après la Seconde Guerre Mondiale, la reconstruction témoigne aussi des évolutions sociales et culturelles de la seconde moitié du XXe siècle. Les techniques du Mouvement Moderne se révèlent, parfois assez brutalistes mais cherchant toujours le dialogue entre expression locale et sentiments universels. Les nouveautés architecturales telles que les nouveaux modes de couvrement, avec des voûtes paraboliques, l’usage du béton armé ou moulé, à la fois pour la structure et pour les décors, permet aux architectes de jouer sur les formes et les matières. Ils travaillent des lignes simplifiées, vigoureuses, sublimées par les peintures à fresques.

La reconstruction symbolise un retour à la vie, c’est un renouveau qui permet aux architectes fraîchement diplômés d’après-guerre de se faire un nom dans les territoires détruits. Il s’avère que la reconstruction n’en est souvent pas vraiment une, peu d’églises sont entièrement rasées et reconstruites. Il y a quelques créations mais surtout des reconstructions avec des éléments préservés. Quelques églises, mais les cas sont rares, comme à Lessay dans la Manche, reconstruite par l’architecte des Monuments Historiques Yves-Marie Froidevaux, sont entièrement reconstruite à l’identique.

Les églises de la Reconstruction se caractérisent souvent par un vaisseau unique et une structure ou une charpente visible. Elles sont ornées de verrières, souvent en résille, et de motifs géométriques. Les clochers se développent selon trois types : campanile, en ardoise à flèche ou à bâtière. Beaucoup d’églises sont dotées de porches et d’auvent et possèdent un chevet aveugle. La sacristie et les salles paroissiales sont intégrées à l’édifice, liant vie sacramentelle et vie quotidienne de la communauté. Les collatéraux sont souvent des galeries, à l’image des édifices antiques et le baptistère est mis en scène, dans un espace séparé. Tous ces partis pris architecturaux témoignent d’une nouvelle spiritualité épurée et dépouillée.

Eglise Saint-Martin de Serqueux (photo clochers.org par © Gilles-Michel ZELMANSE).

Aujourd’hui, qu’elles soient de la première ou de la seconde reconstruction, ces églises présentent un réel enjeu pour les communes qui en sont propriétaires. Parfois reconnues grâce au label Patrimoine du XXe, elles souffrent souvent de problèmes dus au vieillissement complexe du béton. C’est le cas notamment de l’église de Serqueux, en Seine-Maritime qui est menacée de démolition (photographie ci-contre).

La voûte menace l’effondrement et le vieillissement du béton ne permet pas l’usage de l’édifice en l’état. Les églises de la reconstruction sont en général assez peu valorisées car elles sont les témoins d’un passé douloureux voire traumatique pour les populations, c’est ainsi que beaucoup les trouvent laides et peu fonctionnelles. De récentes études permettent de les remettre peu à peu sur le devant de la scène et de changer le regard sur leur existence.

Ces églises peuvent par exemple faire l’objet de circuits de visite sur le patrimoine de la reconstruction, forme de tourisme qui se développe de plus en plus.

©Albane Toussaint de Quiévrecourt – OPR

Exemple d’églises de la reconstruction :

Saint-Joseph du Havre construite par Auguste Perret entre 1951 et 1957. Tour lanterne de 107m de haut en béton armé

Martigny-Courpierre, construite par Albert Paul Müller entre 1929 et 1931. Béton armé et moulé pour statues.

Notre-Dame de Saint-Lô, reconstruction partielle par Yves-Marie Froidevaux terminée en 1972. Reconstruction partielle qui en fait un mémorial de la guerre