Le sourire, grand absent de la statuaire médiévale ?

On retient souvent des statues du Moyen-âge, en particulier celles de l’époque Romane, un
hiératisme caractéristique qui impose respect et déférence. Pourtant, c’est aussi au Moyen-
âge, au début de l’ère gothique, que se dessinent les premiers sourires sur les visages de
pierre, comme en témoigne l’Ange au sourire de Reims, sculpté vers 1270.


Mais dans quel contexte et pour quelles raisons principales le sourire a-t-il fait son apparition
dans la statuaire du XIIIe siècle ?


Une période romane qui se méfie du rire et du sourire (entendu étymologiquement :
sous-rire)


Penchons nous d’abord sur la considération du rire dans l’imaginaire religieux et social. Si la
Bible juge le rire avec discernement, distinguant le bon rire du mauvais, bon nombre de règles
monastiques le rejettent par excès de zèle pour son penchant futile et moqueur. La règle de
Saint Benoît par exemple, établie au IVe siècle pour un meilleur détachement du monde,
stipule à l’article 8 du chapitre 6 : « Quant aux bouffonneries, aux paroles vaines et qui ne
sont bonnes qu’à provoquer le rire, nous les condamnons à tout jamais et en tout lieu, et nous
ne permettons pas au disciple d’ouvrir la bouche pour de tels propos. » Afin de mieux
ressembler à Dieu, modèle parfait de sainteté, les clercs médiévaux doivent se détacher de
tous les aspects de leur condition humaine, en particulier les plus frivoles.


Un art religieux très codifié : Privilégier le lien avec le ciel


Dans ce contexte, il n’était pas décent que les statues devant lesquelles les fidèles se
recueillent présentent des sourires ou des émotions quelconque. Par ailleurs, les sourires
étaient alors le plus souvent associés aux grimaces des gargouilles qui n’avaient rien de sacré.
On privilégie alors les représentations de Vierges à l’Enfant et de Saints dans le lien
d’intimité qui les unissait avec Dieu, plutôt que dans ce qui les rapprochait de la chair et de
l’homme, comme les expressions faciales suscitées par des émotions.


Le développement du culte marial au XIIe – XIIIe siècle


Entre le XIIe et le XIIIe siècle se développe un culte prononcé pour la Vierge Marie. Plusieurs
grands clercs comme Saint Bernard de Clairvaux ou Saint Bonaventure voient en elle, en plus
d’une médiatrice privilégiée entre le Ciel et la Terre (ce pour quoi elle était déjà reconnue
depuis le Ve siècle), une figure maternelle et d’intercession. De nombreuses communautés
religieuses comme les Franciscains développent et innovent de nouvelles fêtes mariales qui
seront instituées officiellement par la suite, comme la fête de la Visitation le 25 mars, ou celle
de l’Immaculée Conception le 8 décembre. Et c’est sans compter les innombrables cathédrales
dédiées à la Vierge partout en France au même moment !


Un besoin croissant de s’identifier aux Saints


Cet usage d’implorer la figure féminine de la mère du Christ s’accompagne d’un besoin
d’humaniser les objets de dévotion. On cherche à s’identifier aux Saints dans leur humanité
pour mieux les imiter. Ainsi, la Vierge Marie est proche des hommes par sa nature et capable d’une grande compassion, elle qui a souffert la Passion de son Fils dans son cœur. Les statues
de Marie sont alors dépeintes progressivement avec diverses expressions traduisant
différentes émotions, notamment le sourire de joie et de paix intérieure. Prenons l’exemple de
la statue de la Vierge à l’Enfant située au trumeau de la façade nord de Notre Dame de Paris,
datant de 1258. On raconte que ses traits seraient empruntés à ceux de Marguerite de
Provence, épouse de Saint Louis : quoi de mieux pour illustrer la tendance à représenter les
Vierges avec plus d’humanité, que de montrer qu’elle semble avoir les traits d’une autre
femme ?


En guise de conclusion


Cette tendance n’est pas un phénomène isolé, mais prend racine dans le contexte de la montée
du gothique avec ses figures plus réalistes, que ce soit dans le traitement des émotions comme
dans la représentation des plis des vêtements et des postures des personnages, empreintes de
dynamisme. Alors que l’art roman dépassait les émotions et les liens terrestres pour des
représentations épurées et hiératiques, l’art gothique né à Paris met l’accent sur le réalisme, le
mouvement, et l’humanité de chaque figure.


©Mathilde FdL – OPR